Breath est un travail sur le portrait. L'enjeu était de réaliser le portrait d'une personne lambda prise au hasard dans la rue sans pouvoir mettre en doute la sincérité de ce qu'il exprime. C'est là un grâal derrière nombres de photographes ont couru, et avant eux les peintres. Saisir l'âme, ou l'esprit du sujet à nu, a toujours été recherché par les artistes. Dans mon approche naturaliste et pratique de l'Homme, c'est monter la part animale, l'instinct de survie, le réflexe, qui m'a intéressé. Pour cela j'ai imaginé un protocole précis, un moyen de faire exprimer au sujet des sentiments primaux et directs qu'on ne peut mettre en doute.
Concrètement, j'ai demandé à des inconnus de s'immerger dans un bassin rempli d'eau trouble, de vider leurs poumons jusqu'à ce qu'ils ne puisse plus tenir et de remonter se délivrer à la surface. C'est à cet instant que je déclenchais l'appareil, c'est cette envie irrésistible de survivre que j'ai décidé de capter.
Mais en décidant de fixer sur une image cette part animale, je fis un constat, toutes les personnes qui acceptent de poser se mettent en danger volontairement. Ils le font pour l'idée, le concept, et sans avoir de plaisir ou de doses d'adrénalines comme récompense, comme ont les sportifs de l'extrême. Quel être vivant, si ce n'est l'humain, peut décider de cela? Cette question mène au bout du compte à réfléchir sur les questions de conscience, de survie et du suicide.
Un autre constat que je fis fut celui du paradoxe de la complexité des stratagèmes qu'il faut mettre en place, mon protocole, pour arriver à faire se révéler les aspects naturels de l'Humain. On se pose dès lors la question de savoir si on a vraiment atteint le but escompté.
Picturalement, en résulte des visages apeurés, torves, des corps flottants sans contrôle. On peut constater une proximité dans les attitudes des corps et des expressions une résonance avec les scènes saisissantes de la grande peinture baroque. L'instinct de survie apparaît de ce fait comme un sentiment aussi esthétique et grisant à regarder que les sentiments les plus extatiques du sublime religieux peints par les maîtres du XVIIeme. Les oscillations de l'eau, les plissements du fond du bassin, les remous provoqués par les corps rappellent dans ce contexte de combat de l'individu pour sa survie, les raies de lumière divine, les vagues des océans déchaînés, les muscles des chevaux fous, qui encadraient les corps dans la peinture Baroque ou encore Romantique deux siècle plus tard, et finissaient ainsi de nous tirer vers les tréfonds de nos instincts.
Cette série tente donc de nous faire nous interroger sur notre condition d'humain, sur ce qui nous caractérise au delà des codes, des origines sociales, de l'âge, et tente par une définition universelle de nous donner à voir de notre nature véritable, ce mélange étonnant entre primitivité et conscience, entre pensée et animalité, entre sublime et instinct.